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Histoire de la Viticulture Hongroise
DépubliéOrigine et bref historique du Vignoble
Hongrois

L'origine du vignoble hongrois se perd dans la nuit des temps (on a trouvé des feuilles de vigne fossiles remontant à près de 15 millions d'années dans la région de Tokaj) et les populations préhistoriques ont sans doute déjà dû tirer parti de la vigne. Mais sa culture proprement dite a connu des fortunes diverses au fil de l'histoire. En effet, au cours des siècles, le bassin des Carpates, territoire de la Hongrie actuelle, a toujours été un carrefour de populations et a connu une histoire mouvementée émaillée de nombreuses invasions (Celtes, Romains, Goths, Huns, Vandales, Avars, Slaves, Francs, Magyars, Tartares, Turcs….).
Ce sont probablement les Celtes - qui occupent l'ensemble de la région du 5ème au 1er siècle avant J.C. (2ème âge du Fer) - qui sont à l'origine de l'implantation ou de la plantation de pieds de vigne en Hongrie. La culture des Celtes était alors très proche de celle des habitants de la Gaule d'où ils ont d'ailleurs sans doute rapportés des ceps de vigne.
Vers la fin du 1er siècle avant J.C., les Romains soumettent les tribus celtes de la Transdanubie et fondent la province de Pannonie. Favorisée par des conditions climatiques excellentes et la nature propice des sols, la culture de la vigne se développe de manière importante sous l'occupation romaine. Si bien que, lors d'une année de particulière abondance du vin et de disette de pain, l'empereur Domitien ordonne de stopper toute nouvelle plantation de vigne en Italie et de réduire de moitié les vignes des provinces afin de modérer la passion des vignes au détriment du pain !
Après cette éclipse, la viticulture connaît un nouvel essor avec l'empereur Marcus Aurelius Probus (276-282 ap. J.C.), né en Pannonie et fils de vigneron. Il ne supportait pas de voir ses troupes oisives. En temps de paix, il les occupait à des travaux d'intérêt général : assèchement de marais, percement de canaux, et en particulier plantation intensive de vignes dans les provinces tout au long du Danube, disant « que le soldat ne devait pas manger son pain sans l’avoir gagné ». Ce qui d'ailleurs lui coûta la vie : les soldats humiliés et excédés par ces travaux déshonorants se révoltèrent et massacrèrent Probius lors de cette mutinerie.
Du 4ème au 9ème siècle, les invasions se succèdent : les Romains doivent céder la place aux Goths, puis aux Huns et aux Avars, cavaliers nomades venus d'Asie Centrale… Avides de butins, ils pillent et massacrent à travers l'Europe orientale et occidentale, mais en dépit d'un déclin passager, la culture de la vigne se maintient. Attila et ses guerriers ne manquent pas d'apprécier le vin pannonien et les Avars doivent sans doute en partie au goût immodéré de leurs guerriers pour le vin leur défaite par Charlemagne et les Francs qui tentent d'étendre le St Empire romain germanique jusqu'au Danube. Ici comme dans le reste de l'empire, Charlemagne fait prospérer le commerce, l'agriculture, favorise le développement culturel et scientifique. Passionné de viticulture (il édicte entre autres des décrets pour une vinification plus propre et plus saine : interdiction du foulage aux pieds, de la conservation du vins dans outres en peaux de bêtes…), il sélectionne les meilleurs cépages de son empire et, séduit par le "vin des Avars", il rapporte aussi des plants de Hongrie pour les vignobles qu'il fait planter le long de la plaine du Rhin.
Vers la fin du IXème siècle, le bassin est ensuite occupé par 7 tribus Magyars venus de l'Oural sous la conduite du Prince Arpad, qui donneront leur nom au peuple hongrois. Déjà à cette époque, la vigne est tenue en grande considération : Le Prince Arpàd récompensait ses sujets en leur donnant des vignes notamment dans la région plus tard célèbre de Tokaj-Hegyalja.
Après des années de vols, de pillages et de massacres à travers l'Europe, le calme s'installe en Hongrie après la conversion au catholicisme du Grand-Duc Geza (petit-fils d'Arpad) dont le fils Etienne (plus tard Saint Etienne) devient le premier roi de Hongrie (1000-1038).
Sous son impulsion, la culture de la vigne que les magyars avaient déjà pratiquée dans leurs pays d'origine connaît une période de prospérité. En effet, avec la christianisation, les monastères et abbayes (surtout des bénédictins) se multiplient partout et, comme dans d'autres pays au Moyen-âge, sont au cœur de la viticulture qui devient si florissante que le roi Etienne I établit un impôt sur le vin destiné à faire vivre le clergé.
Mais cette période prospère fut de courte durée. Les Mongols (les Tatares) envahissent et occupent la Hongrie en 1241, mettent le pays à feu et à sang, et tuent près de la moitié de la population.
Le roi Béla IV (l235-l270) doit reconstruire un pays réduit en cendres (on l'appelle le "second fondateur du royaume"). Il fait construire des châteaux-forts et des villes, fait venir des colons étrangers pour repeupler le pays, et comme d'autres rois hongrois le firent avant et après lui, pour aider au rétablissement des vignobles et à leur développement, il fit appel à des vignerons d'autres pays, notamment des italiens (ayant lui-même épousé une princesse italienne) qui apportèrent le cépage de Furmint (un des principaux cépages de la région de Tokaj), et aussi des français …Cette présence est entre autres attestée par des noms de lieux tels que Olaszliszka ( du hongrois "olasz" qui signifie : italien) et Tállya (du vieux français "taille").
Dès le début du 14ème siècle, la viticulture connaît une période florissante, les principaux viticulteurs se regroupent pour exporter leurs vins notamment vers la Pologne, la Silésie, et peu à peu ils sont présents sur les tables européennes en dépit des tentatives autrichiennes de s'opposer à leur concurrence. Les vins de Szekszárd, de Somlóvásárhely, de Pannonhalma, de Mór, d'Eger, et de Csopak étaient déjà une source de revenu importante.
Cet essor se poursuit pendant la Renaissance, notamment sous le règne du roi Matthias Corvinus (1440-1490), qui s'attache à étendre la renommée des vins de Hongrie et à développer son exportation. Des nouveaux secteurs sont attribués au vignoble et des vignes royales sont créées à Somlo. Autres localités renommées alors pour leur vins : Gyöngyös, Debro, Verpelét et Domoszló.
Les vignerons se regroupent déjà en confréries et définissent des règles très strictes pour la vinification, des critères de qualité, et élaborent un art de goûter le vin. Certaines villes (Sopron, Pozsony, Köszeg, et aussi Buda) édictent des règlements très stricts pour protéger leur production en interdisant l'importation et la vente des vins étrangers.
C'est à cette époque aussi que des colons Serbes, qui ont fui les persécutions des Turcs, introduisent dans la région du Szekszárd le cépage Kadarka qui donnera des vins rouges réputés comme le fameux "Sang de taureau" (Bikavér).
Mais en 1526 les turcs envahissent aussi la Hongrie, le roi Louis II est vaincu à Mohács, c'est la fin de la lignée des rois magyars. Le pays se scinde alors en trois parties : la partie centrale est sous la domination ottomane; à l´Est de la Tisza se crée la principauté indépendante de Transylvanie; les comitats de l´Ouest et du Nord, de Pozsony (actuelle Bratislava) à Tokaj, forment le royaume de Hongrie gouverné par Ferdinand de Habsbourg.
Pendant l'occupation par les ottomans de foi musulmane, la culture de la vigne se maintient quelque peu en dépit de l'interdiction de vin qui n'était pas aussi absolue dans les premiers siècles de l'Islam. Et dans ces régions les cépages de rouges tendent à remplacer les blancs sous l'influence de vignerons serbes.
Mais c'est dans la région de Tokaj que se concentre désormais la viticulture : les vignobles sont des richesses convoitées : nobles et notables hongrois, polonais, et même l'empereur, possèdent des vignes et rivalisent pour la renommée de leurs vins de Tokaj. Les vins de Tokaj sont également très convoités par la Pologne au fait de sa puissance : les marchands de Cracovie achètent les récoltes de Tokaj pour les faire vieillir dans leur chais et en faire un commerce très florissant.

La hotte (puttony) traditionnelle, permet de mesurer la proportion des grains nobles dans un vin aszù (3;4;5;6 puttonyos).
Cette renommée du Tokaj est à son apogée au XVIéme siècle et au XVIIème siècle, à tel point que des écrivains italiens racontent que le vin de Tokaj "contient de l'or ". En 1562 déjà, lors du Concile de Trente, un Tokaji Aszu aurait été offert au pape Pie IV qui l'aurait jugé digne de la table d'un pape : "Summum pontificem talia vina decent!". Et dès 1590, le "Aszù-szölö bor" (vin de raisins "aszu" ou botrytisés) est mentionné dans la "Nomenclatura" de Balàzs Szikszai-Fabricius.
Diverses légendes ont cours quant à l'origine du vin Aszù : on raconte entre autres que vers 1650, les vendanges ayant été retardées en raison de la menace d'une attaque turque, les raisins finalement récoltés furent atteints de pourriture noble, et on aurait découvert ensuite en le goûtant que le vin obtenu était un vrai miracle !
Les premiers enregistrements de la classification du vignoble remontent à 1641, date à partir de laquelle des lois régissent la sélection du vignoble, l'établissement de terrasses… . En 1660, des lois vinicoles déterminent les procédures d'élaboration des vins et fixent également la date officielle du début des vendanges au 28 octobre.
Le Prince Rákóczi ler devient propriétaire de Tokaj-Hegyalja de par son mariage. Son nom est indissociable des vignobles de Tokaj qui deviennent la région phare du monde du vin. Il établit rapidement un monopole sur le commerce du vin dans la région. En 1700 paraît le premier registre qui répertorie les meilleurs terroirs de la région de Tokaj et les répartit en première, deuxième et troisième classes.
Le vin de Tokaj est si recherché qu'il devient un argument décisif dans les négociations diplomatiques. Le vin est envoyé à travers toute l'Europe jusqu'en Suède. Il est présent sur les tables de tous les monarques d'Europe : le Roi Frédéric de Prusse, Pierre le Grand, ainsi que le Roi Louis XIV (lequel accorde d'ailleurs l'hospitalité au prince hongrois révolté Ferenc Rakocsi, très en faveur à Versailles) qui qualifie le Tokaj Aszu de " Vinum Regum - Rex Vinorum" (Vin des rois - Roi des vins). Aujourd'hui encore, cette appellation latine figure d'ailleurs toujours sur chaque bouteille de Tokaj Aszú.
En 1686, la Sainte Alliance créée à l'initiative du Pape Innocent XI, avec l'empire des Habsbourg, la Pologne, Venise et en dernier lieu la Russie avec Pierre le Grand, met fin à 145 ans d'occupation turque et tout le territoire de la Hongrie est libéré. Mais Vienne considère les territoires libérés comme des provinces conquises, suscitant la révolte des nobles hongrois sous l'impulsion notamment du Prince Rakocsi II, révolte bientôt avortée, ses terres et ses vignobles passent aux mains des autrichiens. Les nobles finissent par tous se rallier aux Habsbourg et reconnaître leur domination sur la Hongrie et la Transylvanie. Cette domination de Vienne s'exerce de manière particulièrement étouffante au XVIIIème siècle et au début du XIXème sur le commerce des vins hongrois.
L'exportation est freinée par de nombreuses mesures protectionnistes : taxes écrasantes, droits d'exportation, interdiction de transport par le Danube, etc.….
Cette situation s'améliore lorsque l'empire autrichien cède la place le 8 février 1867 ("Ausgleich mit Österreich") à un nouvel État, l' Autriche-Hongrie, formé par l'union de deux pays indépendants: l'empire autrichien proprement dit et le royaume de Hongrie, unis par l'allégeance à un même souverain, François-Joseph 1er.
Malheureusement, à la fin du 19ème siècle, le vignoble hongrois est durement frappé par la terrible épidémie de phylloxera - qui ravage aussi tous les vignobles européens et le vignoble français en particulier. Dès 1875, le redoutable insecte se répand dans toutes les régions et plus de la moitié du vignoble hongrois est anéanti.
Mais les viticulteurs hongrois s'attachent plus que jamais à produire des vins d'une grande qualité qui sont d'ailleurs remarqués dans les grandes expositions de cette fin du 19ème, que ce soit à Vienne, Londres ou Paris… C'est aussi la Hongrie qui crée le premier institut de recherches viticoles et œnologiques, "l'Institut Royal d'Ampélologie de Hongrie" (ainsi que la Station Centrale d'Expérimentation Viticole). Il est confié à l'automne de 1898 au Docteur Gyula Istvánffi, professeur à l'Institut Botanique de l'Université de Kolozsvár, qui organise quatre départements scientifiques : étude de la botanique, de la chimie, de la fermentation et de la viticulture. Grâce aux succès de ses recherches, l'Institut jouit entre 1920 et 1940 d'une grande renommée internationale qui vaut aussi à la Hongrie de participer à la création de l'O.I.V. ("Office International de la Vigne et du Vin") en tant que membre fondateur en 1924, avec la France, la Grèce, l'Italie, l'Espagne, le Luxembourg, le Portugal et la Tunisie.
Après une brève période de renouveau et de prospérité entre les deux guerres mondiales, la Hongrie occupée par l'Armée Rouge bascule dans la zone d'influence soviétique en 1945 et sa tentative d'insurrection pour préserver son indépendance en 1956 est réprimée dans un bain de sang.
Caves et vignobles sont en majeure partie nationalisés, la production comme le commerce du vin deviennent monopole d'état : établissement de fermes et de chais d'état ayant pour seul objectif une production massive et des rendements énormes, sans souci de la qualité. Un "Borkominat", créé en 1971, centralise toutes les productions, les vins sont mélangés dans des cuves collectives, et destinés en quasi totalité au marché soviétique. L'extension des surfaces cultivées est pratiquée de manière anarchique, même en plaine, au mépris des zones viticoles traditionnellement définies, pour pouvoir satisfaire la demande et offrir des vins bon marché aux masses laborieuses des pays communistes. La viticulture hongroise perd son auréole et disparaît de la scène internationale.
Cette éclipse du vignoble hongrois prend fin avec la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'empire soviétique en 1989/1990. Une grande partie des domaines d'état sont privatisés et vendus aux enchères à des investisseurs français, allemands, américains…. Les vignes mal entretenues sont restructurées et replantées avec des cépages de qualité, les installations techniques modernisées, de nouvelles lois sur les vins sont édictées….. Les efforts des viticulteurs pour retrouver tout le savoir-faire ancestral et le prestige perdu pendant l'ère communiste sont désormais couronnés de succès et l'on assiste actuellement à une véritable renaissance des vins de Hongrie, et de son plus beau fleuron, le vin de Tokaji, qui retrouve sa place d'honneur.


