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Jozsef Csoka, " ambassadeur " des vins de Hongrie paru dans l'Est agricole et viticole 21-11-1997
Jozsef Csoka, " ambassadeur " des vins de Hongrie
La Hongrie a son ambassade à Strasbourg. Discrètement établie rue du Maréchal Foch, la boutique Magyar de Jozsef Csoka commercialise des produits du terroir hongrois et en particulier les vins de la région de Tokay. Qui n’ont aucun rapport avec leurs homonymes alsaciens.
La Hongrie n’a pas eu de chance. Depuis ses premiers pas officiels dans l’histoire en l’an mil, ce puissant royaume a connu invasion puis reconquête, défaites et expansion successives. Et l’état hongrois d’aujourd’hui n’a plus rien de commun avec le pays qui connut la défaite devant les Prussiens en 1867.
La Hongrie disposait alors d’une rive sur l’adriatique, représentait une bonne partie de l’actuelle Croatie, Slovaquie, Roumanie et Yougoslavie. Cette défaite subie trois ans après l’écrasement de la France par les mêmes armées prussiennes ont été lourdes de conséquences pour ce pays : lié au destin du Reich pendant la première guerre mondial, il subit l’humiliation d’un découpage qui le réduit des deux tiers lors du Traité du Trianon en 1920. Il bascule dans le camp nazi quelques années plus tard dans l’espoir de récupérer les terres perdues, avant de voir les nations victorieuses confirmer les frontières de 1920 lors de la victoire alliée en 1945. Quant à l’épisode communiste, c’est peu dire qu’il a laissé des traces dans les cœurs et les esprits hongrois.
Longtemps considérée comme le meilleur apprenti de l’est, la république Magyar poursuit ses efforts tout près de l’Alsace. Il n’est pas inutile de rappeler que Budapest est équidistante de Strasbourg et de Bordeaux, et que l’on peut la joindre par l’autoroute depuis l’Alsace. Mais ce n’est pas pour déguster du médoc, saint-estèphe et autre pauillac que l’on se rend au pays du lac Balaton. C’est plutôt pour faire connaissance avec le Tokay (ou Tokaj).
L’autre pays du vin
En attendant d’entreprendre le voyage, une bonne approche sera de rencontrer Jozsef Csoka. Il est ambassadeur écrivions-nous précédemment, de la Hongrie et de ses vins. Derrière son accent rocailleux et son français bien mieux au point qu’il ne le reconnaît, le commerçant sait défendre les produits de sa terre. Il a su aussi trouver d’excellents appuis, comme celui de Paul Brunet qui ne tarit pas d’éloges sur les crus de " cet autre pays du vin ".
D’abord, finissons de tordre le cou à l’image d’Epinal qui veut que le tokay d’Alsace et de Hongrie soient les mêmes vins, meilleurs ici ou là-bas selon le point de vue que l’on adopte. " Les cépages n’ont rien à voir. On travail en Alsace le pinot gris et en Hongrie le furmint, le hàrslevelu et le muscat de Lunel ", indique d’entrée Jozsef Csoka. D’après les historiens, on cultivait la vigne voici bien plus de dix siècles dans cette région située au nord-est de la Hongrie, près de la frontière avec la Slovaquie et l’Ukraine ". Si le Tokaj est la plus célèbre région viticole hongroise, ce n’est pas la seule : deux autres méritent l’attention : " celle de Szeksard, près du las Balaton, et celle de Eger, non loin de Tokaj ", poursuit Jozsef Csoka. Deux point communs avec l’Alsace résident dans l’origine de ces vignes, plantées par les Romains, et dans certaines données climatiques. L’été très sec et chaud ressemble, selon les climatologues, à celui de la vallée du Rhin, tandis que l’automne, souvent très beau avec des nuits humides, autorise des vendanges très tardives de raisins atteints de botrytis.
Voilà pour les ressemblances. Car les divergences ne manquent pas. " En fait, c’est plutôt vers les vins du Jura qu’il faut rechercher des analogies ",commente Jozsef Csoka. Les méthodes de vinification sont identiques et l’on retrouve certaine caractéristiques communes entre vins jaune, vins de paille et vins de Tokaj.
Le roi des vins, le vin des rois
Pour s’y retrouver, le mieux est sans doute de se livrer à une dégustation systématique des crus disponibles à la boutique Magyar, d’autant que la Hongrie, produit des blancs et des rouges. La fiche de commentaire rédigées par Paul Brunet représente certainement un précieux auxiliaire au débutant en connaissances viniques magyares. " Il y a d’abord les vins de cépage " , indique Jozsef Csoka. Par exemple, le tokaji furmint sec 1994, décrit par Paul Brunet comme ayant des arômes de fleurs blanches, équilibré en bouche, marqué par une acidité poindre que les alsace. Et le spécialiste de l’associer avec es quiches lorraines, toutes, escargots à l’alsacienne, poisson avec sauce à la crème.
Ou encore le tokaji furmint semi-sweet (réductif) 1994, ainsi décrit : " Bonne intensité aromatique, arômes fins et délicats de fleurs, de fruits, de foin coupé la veille, de campagne. Une attaque bien présente, un vin plutôt sec, bien équilibré, avec beaucoup de rondeur en bouche et un goût qui rappelle le coing ou les prunes type reines-claudes pas trop mûres. Un bon accompagnement pour les viandes blanches et les poissons, bel accord avec les desserts type strudel au fromage blanc et raisins secs ".
Après cette première approche, il est temps de s’intéresser aux tokaji aszú, des rois des vins, et les vins des rois, ainsi que le qualifiait Lois XIV. Les étiquettes délivrent une indication précieuse : " Il y figure un chiffre de 3 à 6 avant le mot puttonyos, qui veut dire hotte du vendangeur. Le chiffre détermine la quantité de hottes de raisins surmûris que l’on ajoute à une cuvée vendangée en méthode traditionnelle. Les plus grands chiffres correspondent aux vins les plus moelleux ".
A noter que ces vins séjournent au total sept ans en cave avant d’entrer sur le marché et qu’il n’en n’est pas élaboré tous les ans. La boutique Magyar commercialise actuellement le millésime 1988. Découvrons le commentaire de Paul Brunet à propos du 3 puttonyos : " Un bel équilibre entre acidité et sucres résiduels ", et de proposer une dégustation d’apéritifs ou de dessert ou en accompagnement d’un canard aux pêches. Quant au 5 puttonyos, le même auteur écrit : "Un nez très expressif où domine l’odeur du miel, de cire d’abeilles, avec également un coté noix, de senteurs exotiques. En bouche, une explosion de saveurs, d’arômes. Un bel équilibre et une longueur en bouche comme on peut en trouver sur le vin jaune du Jura. " Quant au degré 6, il est couvert de louanges tout à fait justifiées : " Au nez, toujours ces arômes surprenants de finesse sur ce type de vin quand on connaît sa concentration : arômes de miel , de fruits secs, de beau raisin de Corinthe, de noix, un petit côté tabac blond. Une longueur en bouche exceptionnelle qu’on ne retrouve que sur des très grands vins. C’est une quintessence ".
Se laisser séduire
Des compliments d’autant plus intéressants que les tarifs en vigueurs pour ces vins restent encore très abordables. " Cela ne va pas durer ", avertit Jozsef Csoka, qui prévoit des hausses des cours du tokaji aszú dans les années à venir, depuis que des investisseurs français – notamment – ont acquis des centaines d’hectares dans les vignes du tokaji.
La qualité de ces vins provient des sols – volcaniques et loess dans cette région – ainsi bien sur que du travail des viticulteurs. Comme partout. Et à l’instar d’autres régions viticoles, les pratiques menées dans certains domaines à caractères industriels ne sont pas vraiment à envier : rendements élevés, mécanisation systématique , pour des vins d’un intérêt très limité. Quant aux autres, récoltants ou coopératives, ils pratiquent des rendements de 40hl par ha en moyenne pour leur meilleurs crus et sont fiers de leurs particularités. Notamment les caves taillées dans le loess, parfois en grande profondeur. Ou encore la nature de l’aire et de l’humidité qui fait pousser un champignon qui recouvre murs et bouteilles, leur donnant un aspect des plus étranges, d’autant que les bouteilles sont ici conservées debout, le champignon garantissant leur hermétisme.
En attendant de séduire un nombre croissant d’Alsaciens avec ces crus de Hongrie, Jozsef Csoka soigne la composition de sa carte des vins. Avec une gamme de prix s’étalant entre 30 et 192 francs pour un aszú 6 puttonyos, il peut en tous cas intéresser ceux qui sont curieux des vins d’ailleurs.
Didier Bonnet
Extrait de L’EST Agricole et Viticole n° 47 du 21 novembre 1997